La victimisation comme projet de société
Lors du dernier congrès du Parti Québécois, en avril 2024, le chef du parti a fait une déclaration surprenante : la nation québécoise est en voie d’extinction! C’est ainsi qu’il entend argumenter le bien-fondé de son projet politique : votez pour mon parti ou c’est la disparition assurée. Quelle stratégie fascinante.
Il accuse donc le fédéral d’être une « menace existentielle » et que le sort de « notre peuple », s’il reste dans l’appareil étatique canadien, est de « disparaître ». Les empiétements du palier d’en haut sont mis en cause. Entre autres, selon Paul St-Pierre Plamondon, puisque le fédéral « abuse de ses pouvoirs en immigration […] pour déstabiliser le Québec ».
L’offensive visant le fédéral est prévisible pour ce parti indépendantiste. Il nous semble toutefois que, depuis un moment déjà, l’objectif de cette stratégie de communication vise surtout à remettre en cause les politiques migratoires actuelles. Celles-ci auraient un impact délétère sur « notre destin collectif ».
Il paraîtrait aussi que « l’histoire nous interpelle » et que celle-ci nous offrirait deux choix : « soit on garde le statut de minorité en déclin dans le Canada, jusqu’à notre disparition, soit on devient enfin majoritaire chez nous avec la garantie d’une pérennité linguistique et culturelle ».
Selon nous, ces proclamations messianiques participent à l’installation d’une ambiance qui est non seulement anxiogène et nauséabonde, mais aussi sévèrement contre-productive. Notre théorie, c’est qu’ultimement, il porte atteinte à cette identité québécoise qu’il désire si ardemment défendre.
Comment? Voyons voir.
Clarifications
L’observatoire ne se positionne pas sur la validité de l’indépendance, en tant que concept. Était-ce une mauvaise idée pour la Slovaquie de se séparer de la Tchéquie? Pour la Norvège de rétablir sa souveraineté en quittant la monarchie suédoise? Pour le Timor oriental de voter son indépendance de l’Indonésie? L’indépendance est un outil comme un autre sur l’échiquier géopolitique. Tout dépend de comment cet outil est manié.
On s’intéresse surtout à la manière dont elle est imaginée, expliquée et justifiée dans le Québec contemporain.
Aussi, nous ne croyons pas que PSPP est un fasciste. Le titre de notre plateforme est délibérément racoleur. Pour l’instant, disons qu’il ne nous apparaît pas comme étant à la hauteur de la tâche.
L’homo sapiens est un animal migrateur
La migration est un paramètre fondamental de l’expérience humaine et les États auront toujours à prendre en compte cette variable, comme autant d’autres, dans l’accomplissement de leurs fonctions. La question pour nous est donc : le traitement politique du fait migratoire correspond-il au poids de cette variable dans l’équation étatique?
Ce que l’on entend généralement, c’est que nos capacités d’accueil sont mises à mal par le nombre de personnes migrantes. Si l’on regarde la proportion d’immigrant·es dans la population, le niveau actuel (~23%) correspond au taux atteint entre les années 1911 et 1931. L’époque a beau sembler lointaine, les réactions nous paraissent étrangement familières, comme l’explique l’historien Martin Pâquet dans cet article du Devoir :
[M. Pâquet] cite à ce titre des remous dans l’opinion publique au Québec, incarnés notamment par une série d’articles de Georges Pelletier dans les pages du Devoir dès 1913. « Il croit qu’il y a trop d’immigrants et que le pays ne sera pas capable de les intégrer. […] Le débat sur la capacité d’accueil est un vieux débat, comme vous le voyez » […]
Le modèle est alors celui de « l’assimilation des masses étrangères qui envahissent le pays », comme l’écrit M. Pelletier, qui n’hésite pas non plus à statuer sur les « éléments ethniques les moins propres à se fusionner ». Il rejette entre autres les Noirs, les Asiatiques, les Juifs et les Siciliens. « Il y a une composante sur l’antisémitisme, mais aussi de xénophobie généralisée », relate M. Pâquet.
Par la suite, l’arrivée de personnes migrantes varie au gré des saisons : la crise économique des années 30 puis la Seconde Guerre mondiale voient une immigration grandement réduite par rapport aux années précédentes. Lorsque la paix revient, une tendance s’impose tranquillement. Chaque vague migratoire notoire étant corrélée avec une crise humanitaire (par exemple, les boat people de la fin des années 70 ou les réfugié·es fuyant la guerre civile syrienne).
Plus récemment et selon les chiffres de l’Agence des Nations Unies pour les réfugié·es, le nombre de personnes déplacées de force varie entre 33 et 48 millions, depuis les années 90 jusqu’à 2011. À partir de ce moment, ce chiffre grimpe jusqu’à atteindre 108 millions en 2022. À noter qu’une majorité de ces personnes déplacées de force le sont à l’intérieur même de leur pays d’origine (62,5 millions).
Remarquons aussi que 76% de ces personnes sont accueillies dans des pays à revenu faible ou intermédiaire. Voici d’ailleurs le top 3 de l’année 2022 (source en page 2) : la Turquie avec 3,6 millions de personnes demandant l’asile, l’Iran en seconde place (3,4 millions de personnes) et finalement la Colombie (2,5 millions de personnes).
À la vue de ces données, il n’est point surprenant d’observer une augmentation de personnes demandant l’asile au pays lors de la même période (25 000 en 2011 pour 144 000 en 2023). Nous pourrions même avancer que le Canada, en raison de son isolement géographique, a été relativement épargné par la croissance de ce flux migratoire.
De Sainte-Agathe à Hérouxville
Dans un petit village de Mauricie, nommé Hérouxville, fut adopté en 2007 un code de conduite pour les immigrantes et immigrants. Au racisme cru et frontal de Sainte-Agathe, on a substitué un racisme hautain et mesquin : la personne immigrante est nécessairement issue d’un lieu ou règne la barbarie et la misogynie. Elle est toute naturellement muée par la mauvaise foi. On doit donc lui expliquer, dans un texte dégoulinant de condescendance, comment bien se comporter dans un pays dit civilisé. La lapidation n’est pas acceptée dans notre société distincte!
N’a-t-on pas tous besoin d’un tel rappel, à un moment ou à un autre, dans nos vies aux rythmes endiablés?
On a déniché le document décrivant ces normes de vies, à vous de faire une idée (la mention de la lapidation a toutefois disparu de la version finale). La prose y est plutôt ennuyante, le vocabulaire assez pauvre. La xénophobie s’est déjà exprimée avec plus de panache.
Enfin. S’ensuit la saga de la Charte des valeurs québécoises, l’arrivée des seuils d’immigrations comme proposition politique et généralement une obsession débridée pour le fait migratoire. La nouvelle union nationale connaissant un succès indéniable avec leurs victoires électorales de 2018 et de 2022, il n’est guère surprenant que le Parti Québécois se laisse tenter par la douce odeur du succès. D’autant plus que ces deux partis nationalistes partagent en bonne partie un électorat.
Prenons un moment pour documenter le champ lexical en usage pour décrire le fait migratoire :
- Juin 2022 : Le premier ministre François Legault évoque une « louisianisation » de la province si celle-ci ne contrôle pas davantage l’immigration.
- Septembre 2022 : En campagne électorale, le premier ministre sortant justifie sa politique migratoire de cette manière : « Les Québécois sont pacifiques. Ils n’aiment pas la chicane, ils n’aiment pas les extrémistes, ils n’aiment pas la violence. Donc il faut s’assurer qu’on garde ça comme c’est là actuellement ».
- Septembre 2022 : Le ministre de l’Immigration de l’époque, Jean Boulet, a affirmé que « 80 % des immigrants s’en vont à Montréal, ne travaillent pas, ne parlent pas français ou n’adhèrent pas aux valeurs de la société québécoise ». Une déclaration objectivement fausse.
- Septembre 2022 : Notre très cher François Legault avance que d’augmenter les seuils d’immigration à plus de 50 000 personnes par année serait « suicidaire » pour la nation québécoise.
- Septembre 2022 : Le chef du Parti Québécois situe quant à lui le chiffre magique pour le seuil d’accueil à 35 000.
- Janvier 2023 : Paul St-Pierre Plamondon affirme que la tendance migratoire actuelle menace la « paix sociale ».
- Février 2024 : Jean-François Roberge, ministre de la Langue française, qualifie la présence de personne demandant l’asile comme une « menace pour l’identité québécoise ».
Avant de poursuivre, lamentons la mort de la profession de démographe. Elle est désormais désuète, définitivement remplacée par notre classe politique.
Du reste, si l’on devait pouvoir discuter de n’importe quel sujet, dans une société démocratique, tout ceci ne nous semble pas être un vocabulaire propice à la création d’un dialogue constructif…
Pour l’observatoire, c’est clair : il n’y a pas de différence substantielle entre la campagne de peur du siècle dernier et celle qui se déploie actuellement. L’angle est sensiblement le même qu’il y a une centaine d’années : une capacité d’accueil soi-disant malmenée, une société accueillante « submergée » par une arrivée « massive » de personnes étrangères.
Correction : de par l’entente entre nos deux paliers de gouvernements, le fédéral se réserve le droit de faire la sélection pour deux catégories d’immigrations : le rassemblement familial et les personnes demandant l’asile. Par contre, le provincial à lui seul détermine ses cibles d’immigration permanente (cibles qui n’ont pratiquement pas changé depuis 2010).
Et donc nos responsables politiques provinciaux sont loin d’être aussi désœuvrés qu’ils le prétendent. L’héritier de Maurice Duplessis a beau marteler inlassablement la nécessité d’une baisse des seuils d’immigration (permanente), celui-ci fait aussi le choix de se tourner vers l’immigration dite temporaire. Sachez que « le nombre de détenteurs de permis de travail temporaire est passé de 43 770 en 2015 et à 167 435 en 2023 ».
Le fait migratoire représente donc à la fois un danger existentiel pour notre patrie et une composante manifestement essentielle de notre économie. Quel curieux paradoxe.
Mentionnons que l’immigration temporaire offre certains avantages : c’est une main-d’œuvre facilement exploitable, conséquence des contraintes imposées par les permis de travaux fermés (au point où l’ONU a été appelée en renfort et les résultats se font attendre). Le patronat envoie ses remerciements!
Une dernière réflexion : de toutes les inepties que l’on a pu encaisser concernant le fait migratoire, d’accuser les personnes demandant l’asile d’être une menace pour l’identité québécoise, c’est le comble de l’idiotie. C’est pathétique. Et c’est aussi révélateur.
De un, puisque c’est une grossière admission de faiblesse. Une identité menacée par si peu en est une qui est sévèrement paranoïaque et maladivement insécure. Nous y reviendrons.
De deux, c’est une limpide proclamation d’incompétence. Des économies émergentes peuvent en héberger un bien plus grand nombre (en chiffre absolu ou proportionnellement, comme au Liban où une personne sur sept est une personne déracinée). Si nos institutions grincent bruyamment, chancellent périlleusement pour cause du nombre grandissant des personnes demandant l’asile, c’est avant tout une indication du degré de leur délabrement.
De trois, le nombre même de ces personnes est un point de contention : la province calcule selon le point d’arrivée et ne prend pas en compte la dernière adresse connue (au moins une partie des entretiens sont faits à distance, certaines personnes en profitent donc pour se mouvoir à travers la fédération canadienne). La Presse et le Devoir ont documenté ce qui nous paraît être une mise en scène destinée à fabriquer une autre escarmouche avec Ottawa.
Interlude
Attention! Ce texte n’est pas une exonération du Canada. Nous regardons les frasques de Pierre Poilièvre avec dégoût et consternation. Quant à Justin Trudeau, ses pitreries et ses prétentions morales le font surtout passer pour un clown fade et arrogant. Les historiens et historiennes ne mâcheront pas leurs mots pour qualifier la stupéfiante inaction de son gouvernement envers la crise climatique.
Puis, que penser lorsqu’un simple changement de procédure (rendre optionnel le serment à la couronne britannique) est platement rejeté par nos parlementaires? Pire : le refus étant célébré par un concert de flagornerie en la forme du God save the king. Une pathétique démonstration de servilité dont on se serait passé.
Sur ce point précis, nous partageons le courroux de PSPP.
Par contre, en ce qui concerne le sujet des empiétements du palier fédéral sur les compétences provinciales, son ton alarmiste ne nous convient point. Remarquons déjà que cette tension existe depuis belle lurette et que globalement, c’est une constante des systèmes étatiques fédéraux. On pourrait penser au combat pour l’accès à l’avortement au Mexique (où le progressisme du fédéral se heurte au conservatisme de certains États) ou les interminables tribulations politiques de la petite Belgique (plus de détails ici).
L’on pourrait certainement avancer que le gouvernement actuel opère un virage centralisateur. Comme pour le programme de soins dentaires (la santé est effectivement une prérogative provinciale) ou dans le cas du dernier budget. Cependant, c’en est une tout autre chose que d’affirmer que ces manœuvres politiques constituent une « charge » représentant « une action concertée pour nous affaiblir ».
Il serait plus simple de considérer que Justin Trudeau, au final, n’est pas un politicien particulièrement futé. Il voit les sondages et il agit en conséquence. Ou comme l’exprime Michel C. Auger :
Tout n’est pas une sombre machination fédéraliste. Ainsi, on peut voir dans les annonces préélectorales de Justin Trudeau une offensive concertée contre les compétences du Québec, mais la plupart des électeurs semblent plutôt y voir un signe de panique d’un premier ministre qui sent le tapis lui glisser sous les pieds.
De plus, relevons que certaines de ces initiatives apportent des bénéfices tangibles. Présumons que celles et ceux qui dorénavant vont obtenir une couverture dentaire en sont fort aises. Le retour de l’ingérence fédérale au niveau du logement a beau être contesté, plusieurs argumentent que l’ampleur de la crise du logement découle en partie du désengagement du gouvernement fédéral en la matière, dans les années 90. Ou comme l’exprime le représentant de la RCLALQ : « Que ce soit de compétence fédérale ou provinciale, pour les locataires, ça ne change absolument rien ».
Dans tous les cas, ce pays n’est qu’une entreprise-législature doublée d’un paradis fiscal. C’est toutefois, cher lectorat, une histoire pour un autre jour.
Une grande journée pour Renaud Camus mais une très mauvaise journée pour la Tunisie
En février 2023, le despote et président tunisien Kaïs Saïed a fait cette déclaration :
Il existe un plan criminel pour changer la composition du paysage démographique en Tunisie, et certains individus ont reçu de grosses sommes d’argent pour donner la résidence à des migrants subsahariens.
C’est ainsi que la théorie complotiste du grand remplacement a traversé la méditerranée. La sordide fumisterie initialement inventée pour stigmatiser la population d’origine maghrébine (et subsaharienne) de France, maintenant importée en Afrique du Nord avec comme objectif la stigmatisation de la population subsaharienne. Tous les éléments y sont présents : la substitution d’une population par une autre, la destruction d’une civilisation planifiée par une cabale d’élite toute puissante.
Comme c’est souvent le cas, la manœuvre vise à détourner l’attention de problèmes bien réels. Nommément une économie foireuse et un climat politique toujours plus autoritaire. Tout de même, ce n’est pas banal de voir qu’une idée faisant la promotion de la suprématie blanche puisse être réappropriée de la sorte.
La théorie avait déjà essaimé dans des terreaux plus fertiles : les auteurs des attentats terroristes de Christchurch, d’El Paso, de Poway et de Buffalo étaient tous des adhérents de ce funeste fantasme raciste. Comprenons que ce qui est ciblé, c’est l’altérité de manière générale : la communauté musulmane en France et à Christchurch, les latinos et latinas à El Paso, la communauté juive à Poway, la population afro-américaine à Buffalo et les gens issue de pays subsahariens en Tunisie.
Dans ce dernier pays, le discours du dictateur en devenir a déclenché une vague répressive : agressions, menaces, vols, expulsions. Le tout sans distinction aucune du statut légal de ces personnes migrantes. Plusieurs pays africains se sont retrouvés à rapatrier leurs ressortissants et ressortissantes.
Et donc, quand on lit l’un de nos grands champions s’exprimer ainsi :
Certes, la noyade démographique du peuple québécois commandée par Ottawa et ceux qui le servent chez nous a des conséquences politiques évidentes: la majorité historique francophone fond à vue d’œil […]
Nous retrouvons simplement une autre version de cette théorie complotiste. Il en va de même pour ce passage du discours de PSPP lorsqu’il accuse le fédéral de « déstabiliser le Québec » à travers un supposé « abus de ses pouvoirs en immigration ».
***
À la suite de cette brève analyse, il nous semble clair que la variable immigration de l’équation étatique est surreprésentée dans notre paysage politico-médiatique. L’augmentation du fait migratoire, une réalité, est instrumentalisée afin d’escamoter l’incurie de notre élite politique. Pire : le camp nationaliste contemporain en profite pour faire appel à nos plus bas instincts. Soit la peur, voir la haine de l’autre.
C’était efficace il y a cent ans, ce l’était bien avant et ce le sera dans le futur.
Pour mieux comprendre comment s’incruste la rhétorique raciste du grand remplacement dans notre petit recoin d’Amérique, il nous reste à explorer un concept qui fait bien parler, mais que l’on définit rarement.
L’intégration.
Ici, deux éléments reviennent typiquement pour expliquer sa spécificité locale. À savoir, l’apprentissage de la langue française et l’adhésion aux « valeurs québécoises ».
Mais avant même de pouvoir entamer ce processus, il faut commencer par le début : se loger.
Le fait migratoire comme seule et unique cause de la crise du logement?
Il faut donner une chose à François Legault : il excelle dans sa capacité à mépriser l’intelligence humaine. En 2021, son parti et lui niaient l’existence de la crise du logement et voilà qu’en juin 2024 il se permet non seulement de la nommer, mais d’en attribuer la totalité sur l’immigration temporaire.
Mathématiquement, la croissance démographique dépend quasiment entièrement du fait migratoire. Ce dernier a donc, de facto, un impact sur la crise du logement. En 2022, des fonctionnaires du ministère fédéral de l’Immigration signalaient déjà les effets potentiels de cette disparité entre la construction de logement et la croissance démographique. Puis en janvier 2024, la Banque Nationale évoque quant à elle un piège démographique (sans pour autant offrir des recommandations bien précises : « nous pensons que la croissance démographique annuelle totale de notre pays ne devrait pas dépasser 300 000 à 500 000 personnes »).
Ceci étant dit, dans notre province, il n’y a pas de corrélation entre les taux d’inoccupation et la présence d’immigrantes et immigrants (80% des personnes migrantes se trouvent à Montréal, qui avait un taux d’inoccupation de 2% en 2022, pour 0,5% de personnes migrantes à Drummondville avec un taux d’inoccupation de 0,4%, comme le rapporte le média Pivot).
Dans ce même article, le FRAPRU remarque d’autre part qu’un facteur décisif de la crise du logement est la question de l’abordabilité : à Montréal « le taux d’inoccupation des appartements construits au cours des trois dernières années était plus élevé (4,2%) que pour l’ensemble du marché [en 2022] ».
Malheureusement, l’observatoire a été incapable d’obtenir un commentaire ou une explication, de la part de notre gouvernement, pour mieux comprendre leur raisonnement (qui est par ailleurs largement repris dans notre écosystème médiatique).
Le fait migratoire comme menace pour la langue française?
S’il y a un argument qui est utilisé avant tout autre, afin de justifier la politisation du fait migratoire, c’est bien la survie de la langue française au Québec. Le sociologue Jean-Pierre Corbeil en offre d’ailleurs une preuve : l’expression « déclin du français » est devenu fort populaire dans les dernières années (419 articles mentionnant l’expression en 2020 contre 2868 en 2022). Étrangement, c’est grosso modo la même période où nous avons recensé une surenchère de propos dénigrant envers l’immigration.
Et quel moment opportun pour finalement se joindre à cette frénésie médiatique! Alors que justement, l’Office québécois de la langue française a publié quelques rapports plus tôt cette année (voici le premier sur la langue de l’espace public et le second sur la langue de travail). Surprise et stupéfaction : le français est stable dans l’espace public. De quoi contraster avec la névrose médiatique ambiante.
Ou pas. L’accalmie fut de courte durée et une campagne de salissage du travail de l’organisme indépendant fut rapidement mise en place par plusieurs personnages médiatiques. Ce texte du « chercheur indépendant » Frédéric Lacroix est particulièrement évocateur : il ne cesse de mélanger la langue parlée dans l’espace public et celle de la sphère privé. Cet amalgame a vraisemblablement comme objectif de déformer le travail de l’OQLF.
On a aussi constaté plusieurs politiciennes et politiciens qui soudainement s’intéressent eux aussi aux habitudes langagières des foyers québécois. En effet, si l’on peut difficilement démontrer le déclin du français dans l’espace public, pourquoi ne pas recentrer la discussion sur la langue parlée à la maison?
Politiquement c’est cohérent. D’un côté, on crache sur l’expertise concernant la question démographique et de l’autre, il faut tout de même attester le débordement de nos capacités d’accueil. Cette capacité étant corrélée d’une certaine manière à une intégration réussie, il y a donc un avantage à rendre celle-ci de plus en plus difficilement atteignable.
Précisons une chose : dans le contexte américain à travers lequel nos communautés francophones évoluent, la vigilance est tout à fait justifiable. À notre sens, cependant, ce que l’on entend et ce qu’on lit dans les dernières années, c’est surtout un imaginaire collectif figé dans les années 60. Sauf que les temps ont bien changé depuis le mouvement de McGill français. Les disparités socio-économiques, entre les francophones et anglophones du Québec, ont effectivement disparu depuis un bail.
Au minimum, la vigilance devrait donc aussi s’appliquer à ces oiseaux de malheur à la méthodologie suspecte.
Terminons sur une information issue du second rapport de l’OQLF, peu partagée dans l’espace médiatique : « Enfin, la proportion de personnes utilisant le français au travail au moins 90 % du temps pour servir la clientèle est de 72,1 % en 2023, ce qui représente une augmentation de 4,9 points de pourcentage par rapport à 2010 » (page 20).
Curieux de voir une si bonne nouvelle recevoir si peu d’attention…
Le fait migratoire comme menace à l’identité québécoise?
Pour une raison que nous ne pouvons expliquer, l’identité québécoise est d’une grande susceptibilité. Au moindre malentendu et c’est le scandale.
Un brillant exemple de cette mentalité victimaire nous a été offert lors de la dernière fête des Patriotes. Un soi-disant fleuron québécois a osé utiliser un drapeau canadien pour une affiche dans le cadre de la journée fériée. Il n’en fallait pas plus pour susciter la grogne dans le camp nationaliste. Le chef du PQ lui-même s’est payé un texte sur cette vulgaire tempête dans un verre d’eau. Pour lui, la situation témoigne d’un manque de « respect envers le Québec et son histoire » en plus d’être une preuve que l’entreprise assiste à la « dénaturation de son rôle important dans la société québécoise ».
Dans sa grande vexation, il blâme les politiques EDI et la « doctrine Trudeauiste ». Le tout, sans grande cohérence ni explication. Ce faisant, il tire une page du livre de Pierre Poilièvre qui se plaît lui aussi à cibler les politiques EDI (DEI en anglais).
Qu’y a-t-il de plus véritablement québécois que de s’inspirer du parti conservateur fédéral, de surcroît à un moment ou ce dernier s’abreuve volontiers des lubies d’un parti républicain en pleine dérive?
Cette péripétie s’ajoute donc à une longue télésérie documentant ces défaillances dans notre estime de soi culturelle. Il y a d’autres épisodes : qui pourrait oublier l’irruption de la guerre contre Noël, l’hiver dernier, moment immortalisé à jamais dans les archives du parlement à Ottawa (« Évidemment que Noël n’est pas raciste »). Ou encore la saga du « Bonjour-hi » d’il y a quelques années. Dans les deux cas, les membres de l’Assemblée nationale ont cru bon de réagir à ces simulacres de scandales, en déposant des motions pour ostensiblement défendre « les valeurs québécoises ».
Il faut l’avouer, les gens que l’on envoie siéger à Québec ont une affinité pour le dramatique. Chapeau bas.
Ce qui nous happe dans tout ceci, ce n’est pas qu’il y ait eu des discussions animées sur ces questions dans l’espace public. L’héritage des patriotes mérite d’être exploré (l’histoire de ce mouvement étant certainement plus nuancé que ce qu’on entend de la part du camp nationaliste). La pratique linguistique du « Bonjour-hi » peut certainement faire l’objet d’une réflexion (pour qui a voyagé un peu, c’est effectivement un phénomène statistiquement aberrant).
Non, ce qui frappe, c’est la place qui est donnée à ces controverses créées de toutes pièces. Notre hypothèse est simple : tous y trouvent leurs comptes dans ces indignations performatives. Les médias sensationnalistes obtiennent du matériel à outrage, la classe politique trouve une occasion de vainement bomber son torse et la mentalité d’assiégé d’une partie de la population se retrouve validée et confortée dans leurs angoisses identitaires.
Pendant ce temps, le monde de la culture lance cri du cœur après cri du cœur et le gouvernement en place ne semble pas concerné outre mesure.
Dans une chronique fort pertinente, Toula Drimonis suggère de passer outre celles et ceux qui bénéficient de ces frictions (linguistiques ou culturelles) et de se concentrer sur le concret (comment faciliter l’accès à la francisation?). Puisque l’intégration ne peut être une responsabilité qui incombe uniquement sur la personne migrante. La société d’accueil a aussi ses responsabilités. Et cette posture de méfiance et d’apitoiement incessante ne fait rien pour faciliter le processus.
La jeunesse comme menace à « notre destin collectif »?
Finalement, revenons à ce discours de PSPP qui a inspiré cet interminable texte. Dans l’allocution généreusement parsemée de référence à « notre destin », il tient pour acquise une chose : que la jeunesse s’identifie par défaut à ce schéma narratif de victimisation.
Et pas de bol pour l’aspirant premier ministre : nous vivons dans une société libre et vaguement démocratique. Il doit donc vendre son projet de société et l’identité qui l’accompagne. Et ce n’est pas gagné d’avance. C’est qu’en moyenne, les plus jeunes ne sont guère friands des enjeux identitaires.
Concrètement, ce désintérêt se manifeste par le plus faible appétit électoral de cette tranche de population pour les deux partis nationalistes (voir ce sondage d’avril ou celui-ci publié en mai). Ou encore par cet autre rapport publié en mai, où l’OQLF souligne que la jeunesse fait un plus grand usage de la langue de Shakespeare. Autant sur les réseaux sociaux qu’au travail.
Nous ne sommes pas qualifié·es pour adéquatement expliquer cette « fracture générationnelle », nous pouvons néanmoins avancer quelques hypothèses.
Premièrement, les conditions matérielles étant ce qu’elles sont, la jeunesse a simplement des problèmes plus prioritaires à régler. La question du « Bonjour-hi » est vite oubliée pour qui peine à se nourrir et se loger.
Deuxièmement, la société québécoise affiche un haut taux de bilinguisme et la région de Montréal se démarque au pays (et dans le monde?) pour son trilinguisme. Dans un contexte de plurilinguisme, la dualité entre français et l’anglais semble dépassé, anachronique.
Troisièmement, outre l’immense place donnée au fait migratoire, le récit nationaliste contemporain charrie avec lui des affinités bien marquées avec un conservatisme social tel que cristallisé autour de l’insupportable discussion sur le « wokisme ». Comme dans cette édifiante entrevue intitulée « Le Québec est-il un laboratoire de résistance au wokisme ? » (notre article sur l’écriture inclusive aborde aussi cette manie).
Le défi est de taille. Comment le chef du PQ compte-t-il rallier la jeunesse à sa cause?
En installant des fleurdelisés dans chaque classe de la province…
C’est donc ceci, « notre destin collectif »? Du petit patriotisme de pacotille importé directement de nos voisins anglophones? Incroyable mais logique : c’est l’aboutissement du virage idéologique tel que décrit jusqu’ici.
Or, nous ne voulons pas de ce destin. Ni faire partie de ce « nous » tel qu’évoqué par les nationalistes contemporains. Tout ce délire nous fait honte.
Honte de voir cette interminable procession d’arrivistes saccager nos institutions publiques, le tout dans une impunité enrageante.
Honte de voir ces abjects guignols brandir tel épouvantail ou désigner tel bouc émissaire pour mieux laver leurs sales pattes couvertes de sang.
Honte de voir un peuple qui a tant à offrir au monde, se replier et se refermer en se drapant d’un complexe d’infériorité périmé depuis 60 ans.
Tellement honte.
Mais tout de même curieux de savoir. Est-ce que le messie du Parti Québécois saura convertir la honte pour cette émotion sur laquelle il fonde son projet politique? Saura-t-il transmuter la honte en peur?