Revue de presse : une époque faite pour des types comme Nayib Bukele

Ce fils d’un réfugié palestinien, pauvre en scrupule, mais non dépourvu d’instinct politique, s’est récemment offert un petit coup de pub, lorsqu’il a proposé d’ouvrir ses prisons pour recevoir les personnes déportées par le projet de purge résurrection nationale de Donald Trump.

Et oui, la déportation est désormais normalisée, devenue une mesure politique comme une autre. Nous l’avons vu en France, en Allemagne, en Autriche, où des hommes et des femmes argumentent ouvertement de la nécessité de cette pratique digne des moments les plus sordides et glauques de l’histoire humaine. François Legault, en bon conformiste, emboîtait le pas en octobre dernier, lorsqu’il suggérait un « déménagement de force » vers d’autres provinces pour environ 80 000 personnes demandant l’asile.1

Que voulez-vous, au Québec, c’est comme ça qu’on vit : en traitant les êtres humains comme du bétail.

La prochaine étape, c’est ce que le régime trumpiste mijote à Guantánamo : le retour des camps de concentration. Pour rappel, ces derniers ne nous ont jamais vraiment quittés. Quelques années seulement après la fin de la Seconde Guerre mondiale, l’Empire britannique en a fait construire au Kenya et en Malaisie. Et puis, la bande de Gaza d’avant le 7 octobre était essentiellement un camp d’internement, a minima (une situation qui ne justifie en rien les exactions perpétrées par le Hamas, car nul contexte ne permet de s’en prendre à une population civile).

La suite, vous la connaissez : « la bande de Gaza [fut] l’endroit le plus dangereux au monde pour les enfants », selon UNICEF. Un cessez-le-feu est à peine négocié et voilà que le truand-consul suggère candidement de terminer la besogne génocidaire de l’armée israélienne en orchestrant un nettoyage ethnique, sous couvert de projet immobilier.

La juxtaposition de l’horreur et du mauvais goût serait-elle un marqueur de notre sidérante époque?

La faim et la famine progressent dans le monde.
Le CEO explique que la concurrence de Bukele ou de Guantánamo ne représente pas un risque substantiel pour ses affaires : le marché ne manque pas d’occasions pour tirer profit du plan de déportation massif de l'autre malade. Voilà le lien pour cet article, qui n’est pas une satire, soit dit en passant…

Enfin. De retour au Salvador de Bukele. Un homme emblématique du virage autoritaire à un second niveau : à l’instar d’Orbán, il arrive à conjuguer saccage de l’État de droit et ferveur populaire.

En effet, l’homme qui se qualifie lui-même du « dictateur le plus cool au monde » a récemment obtenu un taux d’approbation de 83%! Il est, de loin, le chef d’État le plus populaire en Amérique latine (à titre de comparaison, Javier Milei a obtenu 32% d’approbation).

Son succès n’a rien de sorcier. Le pays est passé de 36 homicides par an (par tranche de 100 000 habitant·es) en 2019 à 2,4 homicides en 2023.2 Dans un premier temps, il avait négocié une entente avec les cartels. Une entente qui a volé en éclat en mars 2022 (88 personnes seront tuées en trois jours). Moment auquel il a déclaré l’état d’urgence (renouvelé 30+ fois depuis), ce qui lui a permis de balancer en prison un tas de gens suspectés d’appartenir au crime organisé.

Les ONGs sont unanimes : ce processus regorge d’arrestations arbitraires et d’allégations de tortures. Plus de 6000 violations des droits humains ont été signalées. 366 personnes auraient été broyées par ce système carcéral pompé aux stéroïdes, gracieuseté du « roi philosophe ».

Bref, pour une partie de la population, tétanisée par le niveau ahurissant de violence dans leur quotidien, la démarche de Bukele peut paraître acceptable. La fin justifie les moyens. Sauf que cette fin, ces gains sécuritaires obtenus par le despote, ne se fondent sur rien de solide, c’est une stratégie à court terme. Et, comme le résumait Human Rights Watch, c’est un faux dilemme que d’opposer sécurité et droits humains.3

Finalement, il existe un autre parallèle à tracer entre cet homme et le président des oligarques. Nayib Bukele méprise ouvertement les journalistes (311 attaques de diverses formes furent répertoriées en 2023, la moitié en provenance de l’État).4 Et, en bon apôtre populiste, il a bien compris l’importance grandissante des nouveaux médias. Il a par exemple ouvert sa nouvelle prison à sécurité maximale à plusieurs créateurs de contenu. Ce youtubeur mexicain en a tiré un vidéo qui cumule 54 millions de vues!

Ne sous-estimez jamais les capacités de marketing des néofascistes.

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Après la stupeur et la consternation des dernières semaines, vous en avez probablement soupé du sordide téléroman Trump-Musk. Sans complètement détourner les yeux du feu de poubelles qui crame si près de nos pénates, n’oublions pas que la fascisation est une affaire mondiale. Alors, petite revue de presse, question d’élargir ne serait-ce que minimalement nos horizons.

Ce sera aussi une occasion pour mettre en valeur une denrée rare et inestimable en ces temps troubles. À savoir, le journalisme de qualité. Et sur le cas de Nayib Bukele, la palme revient au balado hispanophone d’El Hilo, qui couvre l’Amérique latine et qui a produit une excellente série biographique sur cet homme. Le Salvador est peut-être un petit pays, mais le modèle Bukele sert actuellement d’inspiration (au Paraguay, en Équateur). C’est donc un cas de figure qui mérite d’être étudié.

Autrement, ce papier publié dans la revue Alternatives Sud offre plus de détails sur la démarche et les intentions du président salvadorien (la mise au pas des institutions lui donne une large marge de manœuvre pour des projets d’exploitations minières, entre autres).

Les allégeances malléables du patronat

« En Autriche, le patronat tenté par l’extrême droite ». Ainsi titrait le Monde, le 25 janvier dernier, alors que le parti de la liberté d’Autriche (le FPÖ, solidement campé à l’extrême droite) se négociait une coalition avec le parti conservateur. Les élections étaient en septembre dernier.

L’alliance entre la classe possédante et les fascistes, on la voit très bien chez nos voisins. Comme nous l’écrivions dans notre dernier texte, ce n’est pas une exception, c’est la norme.

Au Brésil, l’agro-industrie est réputée pour son appui à Jair Bolsonaro (elle raffole de ses désastreuses politiques environnementales). Une convergence d’intérêt qui va loin : des personnes associées à ce lobby font actuellement l’objet d’une enquête pour « avoir financé un complot visant à assassiner le président Lula » (avant son inauguration en 2023). Et d’ailleurs, le principal intéressé est lui-même finalement inculpé pour sa participation à ce projet de coup d’État.

On pourrait aussi penser au français Bernard Arnault, cinquième fortune mondiale, qui était présent à l’inauguration du roitelet états-unien. À son retour, il évoquait un « vent d’optimisme » et suggérait même que la France devrait s’inspirer du régime trumpiste pour « nommer quelqu’un pour slasher [sic] un peu la bureaucratie ».5

Une attitude que nous avions aussi observée l’été passé lors des élections législatives surprises en France. Le président de l’une des principales associations patronales, le Medef, déclarait alors que le programme économique du NFP (coalition de gauche) représentait un danger similaire, voire pire, que celui du Rassemblement national.6 Même si le programme du NFP n’était pas spécialement radical (moins que celui de Mitterrand en 1981) et que celui du RN a toujours été une catastrophe au niveau de l’écologie et des droits de la personne (c’est le moins que l’on puisse dire).

Ces gens n’ont jamais eu le moindre respect pour la démocratie libérale. Ils se contentaient de la tolérer. Une mansuétude qui a manifestement cessé de fournir les dividendes escomptés.

De retour en Autriche, la classe d’affaires fredonne les mêmes refrains éculés. Minimisation des propositions les plus outrancières (« nous avons une démocratie qui est garantie par la Constitution » et le plan de déportation massive n’est pas trop pris au sérieux) accompagnée du classique chantage économique (le coût du travail et les régulations environnementales européennes menaceraient la compétitivité).

De toute manière, ce n’est que partie remise, les négociations pour former le gouvernement ayant depuis échoué. L’auto-proclamé « chancelier du peuple » (oui, le chef du FPÖ recycle le même qualificatif qu’utilisait Adolf Hitler) s’est révélé piètre négociateur, son intransigeance aurait condamné toute possibilité d’alliance.

C’est bien fait pour sa gueule. Et celle de l’Autriche.

Entracte

Au moment où la démocratie se fait attaquer de toutes parts, force est d’admettre que ce sont principalement les médias indépendants qui se démarquent, lorsqu’il est question de donner l’heure juste sur la progression des forces réactionnaires et autoritaires. Au sud de la frontière, 404 media, Erin Reed ou encore Sam Seder et son équipe offrent une excellente couverture des pires délires du régime Trump-Musk.

En France, c’est similaire. C’est arrêt sur image qui nous résume le traitement hyper généreux dont le négationniste Jean-Marie Le Pen a bénéficié à sa mort (n’oubliez jamais que Stephan Bureau a qualifié cette pourriture de « monument »). Clément Viktorovitch en a aussi fait une capsule, comme il a aussi traité des récentes sorties médiatiques du premier ministre français, encore un autre « centriste » qui déroule le tapis rouge pour le Rassemblement national :

Toujours dans l’hexagone, saluons l’impressionnant travail de documentation de Streetpress, qui a cartographié les activités et la présence des groupuscules d’extrême droite sur le territoire français. Pensons aussi au média Blast, qui nous fournit des entrevues en format long d’une rare qualité. En voici deux qui nous semblent incontournables : avec Olivier Mannoni (un traducteur qui a travaillé sur Mein Kampf) au sujet de la déformation et la manipulation du langage par les fascistes. Et celle-ci avec l’historien Johann Chapoutot : « Les nazis n’ont pas pris le pouvoir, on leur a donné ».

Finalement, et par chez nous, le média Pivot a sorti deux enquêtes très étoffées sur le traitement médiatique de la guerre d’Israël à Gaza. De l’information fort dense en calorie intellectuelle.

Démolir l’agence états-unienne pour le développement international (au détriment de leurs intérêts géopolitiques et de la dignité humaine la plus élémentaire)

Le démantèlement de l’USAID ne peut nous surprendre, mais elle nous consterne et nous enrage. L’agence qui fut créée pendant la guerre froide, avec l’objectif explicite de contrer l’influence soviétique, désormais liquidée par Henry Ford v2.0 puisque cette dernière serait, selon lui, « un nid de vipères marxistes qui détestent l’Amérique ».

Une œuvre de vandalisme, tissée de cruauté, doublée d’une profonde stupidité.

Pour prendre un enjeu en particulier : la faim et la famine touchent un nombre grandissant de personnes (chiffré en millions, sur le premier graphique). Et pour empirer la situation, le financement n’est pas au rendez-vous, comme l’indiquait l’ONU en décembre dernier.

La faim et la famine progressent dans le monde.
Notez la croissance de la catégorie en orange, qui représente la quantité de personnes et état de crise alimentaire (par ici pour une explication de l’échelle utilisée, mais en gros, la phase 3 = crise, phase 4 = urgence et la phase 5 correspond à une famine). Ce graphique est tiré d'un rapport du Food security information network, un partenaire de l’ONU.
Le financement manque cruellement pour endiguer la progression de la faim dans le monde.
L’augmentation de la demande en financement est à peu près corrélée avec l’augmentation de la faim dans le monde. Le financement a été bonifié, mais seulement en termes absolus. Le déficit s’est accru de plus de 10 % en moins de 10 ans. Le graphique provient de cet article de Reuters.

Pensons aussi au programme PEPFAR, qui selon l’OMS « fournit un traitement contre le VIH à plus de 20 millions de personnes dans le monde, dont 566 000 enfants de moins de 15 ans ». Un programme créé par Bush en 2003 et qui aurait sauvé la vie de 26 millions de personnes depuis sa création. Les exemples de ce type abondent, qu’il soit question d’offrir des soins reproductifs ou de lutter contre le paludisme.

Alors oui, cette aide tient plus du pragmatisme que d’une forme d’humanisme : c’est du soft power au rabais. Il est vrai que cette agence a été expulsée de la Russie (2012), de la Bolivie (2013) et de l’Équateur (2014). Il est aussi véridique que le monde de l’humanitaire est frappé de plein fouet par ce que plusieurs désignent comme un coup d’État institutionnel.

Cruelty IS the point, mais pas que. Comme le décrit le média Basta, cette démarche s’inscrit dans une tendance plus large du rejet du multilatéralisme, au profit de l’unilatéralisme (c’est à dire, la loi de la jungle). Suffit de regarder les négociations concernant la guerre en Ukraine pour en voir une autre limpide démonstration.

Quelque chose comme une conclusion

Deux dernières suggestions, pour clore le texte. Un petit manuel de sabotage, produit par la CIA pendant la Deuxième Guerre mondiale, afin d’informer la population civile dans les territoires occupés par les forces de l’axe, est soudainement devenu relativement populaire en ligne. Nul ne sait pourquoi exactement…

Dans un tout autre registre, saviez-vous que la chasse aux sorcières est une pratique qui a vu le jour en Suisse? Et que ce petit pays alpin a brûlé 100 fois plus de sorcières et sorciers que son voisin italien?

Pouvez-vous imaginer une telle folie collective? Portée par une foi inébranlable, ces lynchages visaient une population pauvre et typiquement féminine, bref, les éléments les plus vulnérables de la société.

Heureusement, une telle barbarie est inimaginable, en notre époque moderne, si éloignée de l’obscurantisme et d’un tel tribalisme sanguinaire. N’est-ce pas?

(Bon, le plan était d’inclure directement le vidéo ici, chose qui n’est apparemment pas permise lorsque le contenu est limité à un public plus âgé…)


  1. Déjà, les chiffres avancés par la CAQ camouflent la réalité : ils calculent selon le point d’arrivée et ne prennent pas en compte la dernière adresse connue (plusieurs personnes vont arriver à l’aéroport de Montréal, déposer leur demande, puis se diriger vers une autre province). À lire sur ce sujet : cet article de la Presse (daté de l’hiver 2024) ou cette plus récente chronique de Toula Drimonis.

    Il est vrai qu’à travers les années, le Québec a reçu une plus grande proportion de personnes demandant l’asile que d’autres provinces. Plutôt que de s’abaisser au niveau de Legault, pour quoi ne pas regarder du côté de l’Allemagne, qui a un système de quota en place pour favoriser une distribution plus équitable des nouveaux arrivant·es? Petite comparaison entre nos deux systèmes par ici. Et voilà comment le gouvernement allemand explique ce système↩︎

  2. À noter que la baisse des homicides commence avant l’arrivée au pouvoir de Bukele (en 2019). Cet article du Monde résume plusieurs de nos arguments et ce billet de Foreign Policy nous informe sur les magouilles quant à la comptabilisation de ces homicides. ↩︎

  3. Telle que cité dans cet article du Monde↩︎

  4. Des chiffres fournis par l’association des journalistes du Salvador, à l’automne 2024. Cet article publié en 2020 par El Faro, l’un des principaux journaux du pays, nous confirme que cette attitude ne date pas d’hier. Quiconque ose remettre en question la trame narrative officielle (lors de la pandémie, par exemple) fait partie « des mêmes que toujours », en opposition à Bukele, défenseur du peuple salvadorien. Une terminologie qui rappelle la caste de Javier Milei. ↩︎

  5. Vous pouvez retrouver les citations dans cet article adéquatement cinglant pour cet odieux milliardaire - un homme qui était déjà assez proche de Trump, avant même que ce dernier ne se lance en politique, comme l’explique ce dossier de Médiapart↩︎

  6. Basta résume la situation dans ce texte : Le patronat passe-t-il à l’extrême droite? Vous pouvez aussi consulter ce topo sur le programme économique du NFP de l’été 2024. ↩︎