La dictadura de la escritura inclusiva
À l’automne 2023, au détour d’une question lors d’un point de presse, le chef du Parti québécois flaire une occasion. On l’interroge sur le sujet chaud du moment, les toilettes mixtes dans les écoles et pour lui, la cible est claire : la gauche radicale. Il s’explique ainsi : « Et moi, je vois beaucoup d’idéologies en provenance de la gauche radicale qui sont imposées. […] Pour moi, ce genre de questions là, les toilettes, les pronoms, les nouvelles théories d’écriture inclusive, doivent être débattues ici, à l’Assemblée nationale ». Deux jours plus tard, il écrit un texte qui reprend le même champ lexical, agrémenté de termes comme « dérive idéologique » ou « novlangue ».
Soyons bon prince et prenons le propos tel qu’il se présente. Est-ce que l’épithète de « radical » convient effectivement à ce qui est décrit? Est-ce que ces concepts sont bel et bien « imposés »? Prenons comme exemple le cas de l’écriture inclusive et investiguons. Mais avant tout, un bref historique de la chose.
Dans notre province, l’écriture inclusive démarre avec la recommandation de l’Office de la langue française de féminiser les titres de professions, et ce en 1979. Dans le reste de la francophonie, c’est plutôt dans les années 90 que ce processus est lancé. Auparavant le mot « mairesse » désigne la femme du maire. Si c’est une femme qui détient ce poste, on l’appelait « madame le maire ». Aujourd’hui, cette question paraît tout à fait dérisoire (même pour un certain sociologue, c’est dire!) et d’ailleurs ces mots féminisés existaient à la fin du moyen-âge, citons cette professeure de littérature dans cet excellent article de Radio France :
C’était un acte délibéré. Jusqu’au 17e siècle, les mots féminisés existaient et étaient toujours utilisés à côté de la forme masculine. C’était une pratique courante au Moyen Âge : on disait auteurs et autrices, médecins et médecines, professeurs et professoresses. Mais ce petit groupe d’hommes a décidé que le masculin devait l’emporter dans les noms de métier, dans les accords grammaticaux alors que l’emploi de l’accord de proximité était la règle jusqu’alors. C’est l’Académie française qui a rendu notre langue sexiste.
Bon, quand on parle d’écriture inclusive ces jours-ci, on fait plutôt référence à l’écriture épicène et le point médian (et ses variantes). Pour rappel, l’écriture épicène consiste à privilégier les termes dits neutres (qui garde la même forme au masculin comme au féminin, par exemple « un ou une élève ») ou les doublets (« citoyennes et citoyens »). L’objectif étant d’éviter la primauté du masculin sur le féminin, aussi connu sous l’appellation de masculin générique, soit l’orthodoxie grammaticale mise en place par l’Académie française telle que décrite ci-haut. Notons d’ailleurs que le doublet complet est une formulation relativement commune dans le monde politique (« canadiens et canadiennes » par exemple). Ce qui semble titiller particulièrement les sensibilités, c’est le doublet abrégé et sa ponctuation considérée ostentatoire par ses adversaires (« enseignant·es » ou « directeur(‑trice) »). On prétend que tous ces signes typographiques minent la lisibilité d’un texte. Que ceux-ci posent problème pour les dyslexiques ou les personnes malvoyantes.
Or, on a recensé qu’une seule étude en la matière avec un échantillon relativement petit (605 personnes participantes dont 209 dyslexiques). Ce mémoire fait état de certaines frictions selon la version de l’écriture inclusive utilisée (voir le tableau 4.1 à la page 67). Par exemple, il ne semble pas y avoir de différence de compréhension entre l’écriture non inclusive et l’écriture épicène alors que le doublet abrégé présente le même niveau de difficulté que le genre neutre (« tous·tes les deux » versus « touz les deux »). Si l’on tire une leçon de ce mémoire, outre le fait qu’il y a un besoin d’approfondir le sujet, c’est qu’il y a une myriade de facteurs qui influencent la compréhension de lecture pour les dyslexiques : la police de caractère, la taille du texte, la présence d’alinéas, l’utilisation de l’italique, etc. Disqualifier le concept même en se concentrant uniquement sur les éventuelles difficultés de cette tranche de la population nous apparaît comme une fumisterie. En d’autres mots, citons Éliane Viennot, professeure de littérature, sur la question :
Et à qui fera-t-on croire que « Travailleuses, travailleurs ! » est une tournure complexe ? Ou que « Les droits des femmes sont des droits de l’homme » est plus compréhensible que « sont des droits humains » ? Ou que cette phrase de Laurent Joffrin, « Les hommes ou les femmes de religion sont protégées » (Libération, 3 février 2020) est obscure ? Et de qui se moque-t-on, quand on suggère qu’aucun·e ingénieur·e n’est capable de développer le point médian dans les logiciels pour malvoyant·es, alors que les parenthèses l’ont été – sans parler des @ et autres # ?
Les vraies difficultés de notre langue résident dans son orthographe, l’une des plus inutilement complexe et distante de la prononciation qui soit ; c’est elle qui multiplie les dyslexiques. Elles résident aussi dans des règles d’accord que personne n’a jamais maîtrisées ; ce sont elles qui découragent les enfants – et les adultes.
On est bien d’accord avec ce constat. Et donc, entre la teneur des accusations envers l’écriture inclusive et la réalité sur le terrain, il existe un gouffre. PSPP la qualifie de radicale, l’associe à une gauche qui serait radicale - mais si on regarde de plus près, on observe plusieurs courants issus d’une multitude de milieux (universitaires, littéraires, activistes) qui certes ont des visées progressistes. Mais surtout, on constate un processus qui évolue (au minimum) depuis une cinquantaine d’années. Une partie de la société civile désire remettre en question le rapport que nous entretenons avec notre principal moyen de communication. Pourquoi pas?
Était-ce radical pour Michel Tremblay d’écrire en joual? Pour les forces conservatrices de l’époque, tout à fait! Celles-ci qualifiaient même l’utilisation du joual comme étant un « mal de civilisation ». Aujourd’hui, l’Académie française n’est pas en reste. Institution réactionnaire par excellence, repaire réputé de collabos, imbue d’une importance qu’elle ne mérite guère, elle est catégorique : le point médian est un péril mortel pour la langue française! Plus ça change…
Petit aparté pour préciser que cette même discussion a aussi lieu en espagnol et en allemand. Voir comme exemple ce guide d’écriture inclusive en espagnol, produit par les Nations unies. Et voici un article résumant la situation au pays de Goethe. On dénote un grand nombre de similitudes, autant dans la démarche que la réaction à celle-ci.

Finalement, revenons à notre politicien et son argumentaire. Nous ne sommes point dupes : la liste de concepts qui le dérangent au point d’en parler à chaque opportunité correspond aux mêmes chimères que chassent les apôtres de l’honorable pontife médiatique PKP. Difficile d’éviter le parallèle quand on qualifie le racisme systémique de « novlangue » (nous aurons l’occasion de revenir sur cette réinterprétation de l’oeuvre d’Orwell). PSPP prend ainsi une posture familière, celle d’un homme qui s’élève au dessus de la mêlée, qui intime aux extrémistes de chaque côté de s’assagir : celui-ci, dans sa grande mansuétude, va s’occuper de couper la satanée poire en deux. Ou déléguer cette tâche à un comité de sages, comme le fait notre cher premier ministre pour une autre pomme de discorde, celle de la théorie du genre (c’est-à-dire les études du genre comme brièvement discuté dans un texte précédent).
Cependant, cette posture n’apparait pas justifiée, en vue de la banalité de l’écriture inclusive. Où sont donc l’extrémisme et le radicalisme dans ce processus d’exploration linguistique? (Si l’on a manqué quelque chose, faites-nous le savoir - voir la section commentaires plus bas).
Sans motivation concrète, on se doit de présumer que le politicien s’accroche à cette mode à des fins électoralistes : il faut bien avouer que celle-ci rapporte gros, autant en terme économique (comme le témoignent les parts de marchés de Québecor) qu’en terme politique. Ce que l’on trouve lamentable dans la mesure que son parti ait autrefois été une force progressiste dans notre province, comme il le souligne lui-même dans son texte. Terminons en lui posant une question tangentielle : si l’on fait confiance à un spécialiste de la pédagogie afin de mettre à jour le contenu de nos cours de mathématique, devrait-on faire approuver ce travail par une commission parlementaire? Ou cette obligation s’applique uniquement à la littérature et l’éducation sexuelle?
…
Ah! On a oublié de revenir sur l’aspect coercitif de tout ceci. Franchement, on n’a tellement rien trouvé à ce niveau, à travers nos lectures, qu’on avait un peu oublié. La seule approche qui pourrait vaguement s’apparenter à une forme de contrainte, c’est l’inclusion de l’écriture inclusive dans des guides de rédactions tels que produits par nos universités et nos administrations publiques. Ce qui est, en fin de compte, une restriction équivalente a un code de conduite ou un manuel de l’employé. En voici une liste non exhaustive, on vous laisse y jeter un coup d’œil et voir par vous-même.
Voici le guide d’écriture inclusive de l’Université Laval. Et aussi celui de l’Université de Montréal.
Le guide de l’Institut national de la recherche scientifique.
Et celui de l’Université du Québec en Abitibi-Témiscamingue.
Depuis plusieurs années l’OQLF produit une formation sur l’écriture épicène et en bonus, cette banque de termes épicènes. Le gouvernement canadien offre aussi un outil similaire.